PDF

L’Ombre de Gerixeti

Conte d’auteur

Source Myths & Maths CM, NN

Âge : 10-12 13+

comparaison tailles dimensions temps

Notions Contenu mathématique mobilisé (nombres et calculs, grandeurs et mesures, géométrie, logique, organisation, modélisation…). Démarche Ce que l’histoire et ses personnages illustrent de la démarche mathématique : stratégies, aptitudes, mais aussi situations et émotions mobilisées dans l’activité mathématique. Compétences Compétences transversales travaillées quand on écoute ou raconte l’histoire, utiles pour réussir en mathématiques.

Résumé : Le soleil a changé d’axe, un arboriculteur fait de l’ombre à ses voisins et doit s’exiler. Arrivé dans un pays où l’ombre n’existe pas, il réussit à rétablir le soleil au bon endroit en enseignant l’art des ombres à ses hôtes.


Il était une fois un cultivateur nommé Gerixeti. Il vivait heureux, dans un village blotti au creux d’une vallée, sur le versant ensoleillé d’une combe [petite vallée] si fraîche que les pierres frissonnaient le matin. Les arbres de son verger étaient si grands, si forts, si généreux que leurs fruits brillaient chaque jour comme des perles mouillées de rosée. Tous les matins, le soleil venait faire son tour, comme un boulanger vérifie sa pâte. D’est en ouest, il gonflait les bourgeons, faisait éclore les fleurs, verdir les feuilles, mûrir les fruits.

Mais voilà qu’un beau jour, à midi pile, le soleil s'arrêta. Ou plutôt, il choisit un nouveau chemin. Du Sud, il se déplaça vers le Nord. Et d’un coup, les arbres du verger jetèrent de l'ombre sur les jardins voisins. La foule des villageois accourut, visages tordus dans l’ombre, hache à la main, pour abattre les arbres.
Cœur lourd, poches vides, Gerixeti s'enfuit.

Qui jouait avec le soleil ? Pour le savoir, Gerixeti partit vers le Nord. Plus il avançait, plus son ombre de midi rapetissait et sa peau brûlait. Après bien des jours, il arriva dans un pays étrange baigné de lumière dorée. Le sol poudreux y ondulait comme une mer figée. Il marcha encore. Il s’effondra, affamé, assoiffé.

Les heures passèrent, puis il sentit un liquide frais couler dans sa gorge. Entrouvrant les paupières, il aperçut des visages aux yeux écarquillés qui le fixaient. Il découvrit un pays comme il n’en avait jamais vu : chevaux à deux bosses, arbres aux feuilles à la forme de mains, mais surtout… habitants tout à fait transparents ! Leurs corps nus et diaphanes n’arrêtaient pas la lumière et ils ne créaient pas d’ombres…
Ils le regardaient, bouche bée, pas pour l’éclat de sa peau, mais pour son ombre. Car il la traînait encore ! Plus petite, plus discrète qu’au village, mais bien là.

On lui posa mille questions : « Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que cherchez-vous ? » Personne ne comprenait ce qu'il disait, alors, ils se tournèrent vers l’Ombre. Mais elle ne répondait pas. Les habitants accouraient pour la voir, mi-émerveillés et mi-effrayés. On la saluait, on la chatouillait, on lui apporta même un magnifique repas ! Mais Gerixeti mangea tout, sans rien lui laisser.

L'Ombre n'obéissant qu'à son maître, elle le suivait partout, imitait chacun de ses gestes. « Trouvons-lui une épouse » dit un Transparent, « Cousons lui une couverture ! » dit un autre. On lui fit une couverture sur mesure, que Gerixeti devait poser à ses pieds.

Mais l’Ombre n’en faisait qu’à sa tête ! Au coucher du soleil, on la voyait s’étirer jusqu’à l’horizon, puis elle s'évanouissait dans la nuit, sans un mot. Les Transparents, inquiets, crurent qu’elle s’était enfuie ou pire, qu’on l’avait enlevée. Ils tentèrent de l’enfermer. En vain. Alors, on accusa Gerixeti de maltraiter son ombre, de l'affamer, de la garder en esclavage. Il devait la libérer ! et c’est lui qui devrait s'en aller.

Sentant la foule le presser une nouvelle fois, Gerixeti promit aux Transparents de leur enseigner l’art de l’ombre, contre leur aide pour régler son problème. Il leur montra comment découper des personnages dans des feuilles pour créer des ombres face au soleil. Les villageois, émerveillés, commencèrent à jouer avec l’ombre et la lumière, découvraient des formes nouvelles et des jeux inédits. Ils couvrirent leurs corps d’habits pour apprivoiser les ombres.

Alors Gerixeti raconta. Il parla de son pays de montagnes, des levers du jour, du versant chaud qu’on appelle l’adret, et l’autre, plus froid qu’on nomme ubac. Il raconta les arbres, les fruits, la lumière qui tournait autour du verger. Puis il expliqua comment l’ombre avait changé de place, et comment, à cause d’elle, il avait dû fuir.

Les Transparents l’écoutaient sans tout comprendre. Mais parmi eux, un Ancien leva les yeux. « C’est nous, dit-il. C’est nous qui avons tiré sur le ciel. Pour rendre le soleil moins dur, nous avons déplacé l’axe du monde. Sans le savoir, nous avons fait pencher la lumière. »
Il y eut un grand silence. Le Conseil se réunit. Et comme l’hiver approchait, ils remirent le soleil à sa place, à midi pile, juste au-dessus de leur village.

Les Transparents s’affolèrent. Leurs ombres, tout juste apprivoisées, rétrécissaient à nouveau, jusqu’à disparaître ! « Au vol ! Le sorcier reprend ce qu’il a donné ! » Sans plus attendre, ils jetèrent Gerixeti en prison. L’après-midi avançait, et peu à peu, leurs ombres réapparaissaient. Elles glissaient sur les murs, rampaient sous leurs pieds… Mais c’était trop tard. Le conseil avait tranché. « Qu’il parte avant que tout ne recommence. » Et sans autre procès, ils l’exilèrent.

Gerixeti partit avant la nuit tombée, lancé à toute allure sur une monture à deux bosses. Derrière lui, les Transparents, ravis, voyaient leurs ombres grandir à nouveau au soleil couchant. Mais quand la nuit tomba, plus d’ombres ! Encore un tour du sorcier ! Leurs meilleurs cavaliers partirent à sa poursuite. C’est pour ça, dit-on, que le voyage du retour fut plus rapide que l’aller.

Gerixeti retrouva ses montagnes. Dans ce qu’il lui restait de verger, à la place des grands arbres abattus, il planta des graines d’arbres à mains. Elles poussèrent, tranquilles, et leurs arbres donnèrent de beaux fruits sucrés. La terre était plus sèche, l’adret plus aride, mais Gerixeti vécut en paix.
Et chaque soir, à la veillée, il retrouvait ses voisins. Sans rancune, un verre fumant dans une main, un fruit doux comme le miel dans l’autre, il racontait ses aventures au Pays de la lumière. Pendant ce temps, les ombres, fidèles et dociles, dansaient sur les murs.
Et c'est ainsi, dit-on, que naquirent dans cette vallée, les palmiers dattiers.