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Le Joueur de lyre

Conte merveilleux

logique probabilités

pensée créative gestion de l'erreur confiance en soi

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Commentaire pédagogique : Ce récit invite à une lecture commentée et interactive au fil des péripéties. Il ne donne en effet pas accès à toutes les informations dès le début et nous pousse à spéculer, à conjecturer, en fonction des probabilités.
Découvrez la fiche maths associée : Expérience aléatoire, probabilités… et une reine travestie

Résumé : Un roi est fait prisonnier après avoir cherché à combattre un monarque cruel. Il demande à sa reine de payer une rançon mais celle-ci préfère passer par la ruse. Travestie en joueur de lyre, elle parvient à libérer son époux, mais ne le met pas au courant du subterfuge. De retour au pays, le roi accuse la reine d'être restée indifférente à son malheur, de l'avoir trahi, jusqu'à ce que les masques tombent et vérité soit levée.


Il y avait une fois un roi et une reine. Tous deux s’aimaient tendrement. Mais le roi rêvait de gloire.
En ce temps-là, dans le pays et tout autour, on recevait des nouvelles préoccupantes. Là-bas, au loin, un monarque cruel volait, pillait, rançonnait les voyageurs et capturait les marchands pour en faire ses esclaves. Le commerce en souffrait, certains produits manquaient. Tous les rois et les princes ont pris la décision de partir combattre le monarque cruel afin de rétablir la sécurité sur les routes du commerce lointain.
Comme les autres, le roi amoureux est parti. Voilà pour lui. On n’en a plus eu de nouvelles. Pendant trois ans. Trois longues années !
Et puis un jour, un message est arrivé. La reine est allée s’enfermer dans sa chambre pour le lire. Il n’y avait qu’une ligne. « Suis prisonnier du monarque cruel. Vends tout et viens me racheter ».
Ah, mais ! Quelle idée folle ! Tant de difficultés, tant de dangers. Et si le monarque cruel était à la hauteur de sa réputation, il la dépouillerait, elle, il en ferait son esclave et le roi resterait prisonnier. Envoyer quelqu’un ? ça n’aurait pas changé grand-chose. Vraiment, le roi demandait l’impossible.
Pauvre reine. Elle est restée là longtemps, à lire et relire le message pendant que l’obscurité envahissait sa chambre. Et puis elle s’est redressée. Non, elle ne ferait pas cette folie que voulait le roi. Sa décision était prise. Elle a rassemblé quelques affaires. Elle s’est glissée en silence dans la nuit. Au château, personne ne l’a vue, personne n’a su ce qu’elle était devenue. Voilà pour elle.
Pendant ce temps, dans le pays du monarque cruel, le roi amoureux n’était pas à la fête. La nuit, enchaîné dans une sombre prison. Le jour, attaché comme un cheval à une charrue à labourer du matin jusqu’au soir. Quelle triste vie ! Il lui avait fallu 3 ans pour pouvoir envoyer un message d’une seule ligne, c’est dire. Depuis, il comptait les jours encore plus qu’avant. « A l’heure qu’il est, elle a déjà peut-être pu tout vendre. Elle se met en chemin. Ah, mais chez nous, c’est la mauvaise saison. Ça pourrait bien tout retarder… » Et tout ça, il le tournait, le retournait et bon, ça l’occupait.
La prison, c’était un trou de ténèbre et de misère derrière le palais du monarque. Le palais, tout le contraire, des tours blanches, des colonnades, de la lumière… Pourtant, on sentait une tristesse, quelque chose qui pesait sur toute cette splendeur comme une ombre de désolation.
Et puis un jour, un ménestrel s’est installé dans la grande cour. Il a pris sa lyre. Il a commencé à chanter.
Je suis venu, venu de loin
Emportant pour unique bien
La lyre, la lyre entre mes mains
Ecoutez mon chant qui soupire
Qui me donnera ce que mon cœur désire ?
Qui me donnera ce que mon cœur désire ?
Le monarque entendait. Il tendait l’oreille. Cette musique, c’était comme un souffle d’air qui chassait l’ombre. Il a fait venir le musicien.
« Si tu chantes pour moi toute une journée… et une deuxième… et une troisième, oui, chante pour moi trois journées et je saurai te récompenser. »
Alors le joueur de lyre est resté. Pendant trois jours il a chanté pour le monarque
Je dis la fleur au point du jour
La joie d’un premier baiser d’amour
Et le chagrin de l’adieu sans recours
Ecoutez mon chant qui soupire
Qui me donnera ce que mon cœur désire ?
Qui me donnera ce que mon cœur désire ?

Je dis le prince en sa grandeur,
Et le captif en sa douleur
Entre les murs, les murs de son malheur
Ecoutez mon chant qui soupire
Qui me donnera ce que mon cœur désire ?
Qui me donnera ce que mon cœur désire ?
C’était la fin du troisième jour, le monarque se sentait envahi par une douceur. « Ménestrel, ton chant, c’est une caresse qui m’a délivré de mes soucis et de mes chagrins. Ce que ton cœur désire, je veux te le donner ».
« Ah ! Ce que mon cœur désire, c’est simplement un compagnon de route, un qui parle le même langage que moi, pour me sentir moins seul à traverser ce monde. Si tu me laisses en choisir un parmi tes prisonniers, tu me combleras. »
Dans la prison, le joueur de lyre a vu les nombreux prisonniers. Parmi eux, il en a remarqué un. S’est arrêté pour demander. L’accompagnerait-il sur les chemins ? Ce prisonnier, c’était le roi amoureux, justement, celui-là même, le roi qui ruminait ses petits calculs, se disant que la reine aurait déjà dû être là, qu’il aurait déjà dû être libre, se demandant s’il restait encore une place pour l’espoir. Alors, vous pensez bien, partir avec ce musicien ? Il n’a pas hésité.
Tous les deux se sont mis en route, ont partagé le bon et le moins bon sur leur chemin. Puis ils sont arrivés dans le pays du roi. Lui, en se voyant chez lui, il s’est senti de nouveau roi, droit, fier. Il a dit au ménestrel « Libère-moi, brave joueur de lyre. Je ne suis pas un simple prisonnier. Je suis le roi de ce pays. Je te verserai comme rançon autant d’argent que tu le voudras et à l’avenir, tu pourras toujours compter sur moi ».
Le joueur de lyre a souri
— Tu es libre depuis le jour où tu as quitté la prison dont je t’ai sorti. Va en paix. Je n’ai besoin ni de tes richesses, ni de tes services.
— Viens au moins avec moi pour être mon hôte.
— Je viendrai. Quand le moment sera venu.
Chacun est parti de son côté. Et le roi est arrivé au château. A peine une heure avant lui, la reine aussi était arrivée. Elle s’est précipitée avec tous les autres pour accueillir son mari. Mais lui, il ne lui a pas jeté un regard. Il a salué ses ministres et s’est écrié devant toute l’assemblée : « Regardez cette bonne épouse qui est la mienne, qui se jette à mon cou maintenant que je suis de retour ! Mais lorsque j’étais en prison et que je l’ai appelée à mon secours, qu’a-t-elle bien pu faire au lieu de réunir et d’apporter une rançon comme je le lui demandais ! »
Discrètement, la reine est repartie dans ses appartements pendant que les ministres disaient au roi : « Majesté, le jour même où la reine a reçu votre message, elle a disparu on ne sait où. Elle est restée absente tout ce temps : elle venait tout juste de rentrer quand vous êtes arrivé ! »
Le roi était dans une grande colère. « Cette femme m’a trahi. Je veux qu’elle soit jugée comme elle le mérite, car à cause d’elle, vous auriez pu ne jamais me revoir. Votre roi serait resté au fond d’une prison pour l’éternité sans l’arrivée providentielle d’un jeune joueur de lyre ».
Soudain on a entendu le son d’une lyre qui montait de la cour d’honneur du château. Le roi s’est précipité, tout joyeux. Il a saisi le musicien par la main, l’a mené devant toute la cour assemblée et a déclaré : « Voici celui à qui je dois tout et je lui donnerais sans hésiter la moitié de mon royaume ! »
Le joueur de lyre s’est incliné, et en se redressant a dénoué la grande cape qui l’enveloppait. Tout le monde a reconnu alors la reine. Le roi a pâli. Il est tombé à genoux devant la reine. Et puis. Que dire d’autre ? Bien sûr, il y a eu de grandes réjouissances dans le pays. Mais eux, eux deux, ce roi et cette reine, comment ont-ils repris le cours du chemin qu’il leur restait à parcourir ? Qui peut savoir ? Eux seuls. Et vous, peut-être, si vous y étiez.