Conte merveilleux
récursivité temps
communiquer
Commentaire pédagogique :
Ce conte évoque l'importance de la gestion de la communication : influer sur les décisions, mais sans révéler un secret.
Cela implique également une notion de récursivité, d'itération, de répétition avec une légère modification jusqu'à ce qu'une condition soit atteinte, puis les conditions empilées se résolvent d'elles-mêmes.
Résumé : Un secret magique peut aider à gagner une guerre, mais gare à qui le répète...
Il y avait une fois deux rois qui, étant voisins et jaloux l'un de l'autre, s'étaient déclaré la guerre. Plusieurs combats avaient déjà donné le désavantage à l'un des rois, parce que son armée était gênée dans ses manœuvres par les replis d'une large rivière sans pont.
Pour observer les mouvements de l'ennemi, un de ses officiers monta un jour au faîte d'un chêne qui dominait une grande forêt. Comme il dirigeait ses regards de part et d'autre, il aperçut assez près de lui une troupe d'enfants qui jouaient autour d'un feu allumé dans une clairière et, presque aussitôt, il vit venir de leur côté un homme dont le nez était long, long à n'en pas finir.
— Ah ! crièrent les enfants en interrompant leurs jeux, voici papa Grand-Nez !
Et ils accoururent tous à sa rencontre.
— Bonjour, papa Grand-Nez.
— Bonjour, mes enfants.
— Quelles nouvelles apportez-vous, papa Grand-Nez ?
— Ah ! Mes enfants, je sais bien quelque chose.
— Dites, papa Grand-Nez, dites.
— Je vais le dire, mais n'en parlez pas. Il y a deux rois qui se font la guerre. L'un des deux est toujours battu, parce qu'il ne peut pas traverser la rivière, faute de pont... Et pourtant, dans cette forêt-ci, pas bien loin de nous, se trouve l'Arbre Rouge. On n'aurait qu'à en couper une branche et à la poser sur l'eau de la rivière pour voir un beau pont se former immédiatement...
— Cric crac ! Qui en parlera, pierre deviendra !
L'officier en avait assez entendu. Il descendit de son observatoire et se mit à la recherche de l'Arbre Rouge qu'il découvrit, non sans peine. Il en coupa une branche, l'emporta et alla trouver le roi :
— Sire, je me charge de jeter, la nuit prochaine, un pont sur la rivière. Que votre armée soit prête à passer ! Ne m'en demandez pas davantage...
— Si tu fais ce que tu dis, répondit le roi, tu auras bonne récompense.
L'officier n'eut qu'à poser la branche sur l'eau du fleuve. Elle s'élargit, s'allongea en forme de pont. L'armée passa, surprit les ennemis, remporta sa première victoire. Mais les autres ne se tinrent point pour battus et reprirent l'avantage en peu de jours.
***
L'officier eut l'idée de retourner à son chêne. Dès qu'il se fut hissé à la plus haute branche, il regarda du côté de la clairière et vit les enfants assemblés autour du feu. Presque aussitôt arriva l'homme au long nez.
— Voici papa Grand-Nez, s'écrièrent les enfants, bonjour, bonjour, papa Grand-Nez !
— Bonjour, mes enfants.
— Que nous apprendrez-vous, papa Grand-Nez ?
— Ah ! je sais bien quelque chose...
— Dites vite, papa Grand-Nez !
— Je vais le dire, mais n'en parlez pas. Le roi a trouvé le moyen de jeter un pont sur la rivière, mais son armée est battue quand même... Et pourtant, dans cette forêt, pas bien loin d'ici, se trouve l'Arbre Creux. Dans la cavité de son tronc, se trouve de la poussière. Cette poussière, jetée pendant la bataille aux yeux des ennemis, suffirait pour les aveugler, les étouffer.
— Cric crac ! Qui en parlera, pierre deviendra !
L'officier, bien content de connaître un tel secret, quitta son chêne et s'empressa de rechercher l'arbre creux. Il finit par le trouver et remplit ses poches de la poudre qu'il contenait.
Puis il s'en vint parler au roi :
— Sire, ne craignez pas d'attaquer l'ennemi. Livrez bataille dès demain. Seulement mettez-moi au premier rang, ayez le vent pour vous et je réponds de la journée.
— Qu'il soit fait comme tu le désires, dit le roi. Si tu réussis, tu auras bonne récompense.
Le lendemain, le combat s'engagea. À mesure que l'officier jetait au vent la poussière de l'Arbre Creux, il se formait de gros nuages de fumée qui asphyxiaient les soldats ennemis. Beaucoup tombaient comme foudroyés, les autres prenaient la fuite, serrés de près par l'officier et ses hommes. Il n'en resta pas un sur mille, si bien que leur roi se vit obligé de capituler. On signa donc la paix.
***
L'officier qui était le héros de la journée, fut mandé par le roi qui le complimenta beaucoup :
— Je t'ai promis bonne récompense, lui dit-il. Je ne saurais mieux faire que de te donner ma fille en mariage.
Belle comme le jour, cette fille du roi ! Et l'officier était déjà amoureux d'elle. En attendant l'époque fixée pour la noce, il passait tout son temps au palais, en promenades, en divertissements avec sa fiancée. Elle lui dit une fois :
— Comment donc avez-vous fait pour jeter un pont sur la rivière et quelle est cette poudre que vous avez si bien employée dans la bataille ?
— Ah ! princesse, je vais tout vous dire. Pour observer l'ennemi, j'étais monté sur le plus grand chêne de la forêt, quand mes regards tombèrent sur un feu qui flambait dans une clairière voisine. Autour du feu, jouaient une troupe d'enfants. Un moment après, je vis venir à eux un homme ayant un long nez et j'entendis leur conversation.
— Et que disaient-ils ?
— Ceci, princesse...
Et l'officier révéla les secrets qu'il avait appris. Mais à peine eut-il terminé son récit qu'il se trouva changé en pierre. La princesse épouvantée appela au secours. Tous les gens du palais accoururent et entre autres, un oncle de l'officier.
— Ah ! s'écria-t-il, qu'est-il arrivé à mon neveu ?
La princesse raconta ce qu'elle venait d'entendre et de voir. Aussitôt, elle aussi se trouva transformée en statue de pierre.
La désolation fut grande à la cour. Le roi ordonna de placer les deux victimes dans l'église, de chaque côté du maître-autel et tout le royaume prit le deuil.
***
Cependant l'oncle de l'officier ne cessait de penser à l'étrange récit de la princesse ; il était possédé du désir de voir ce mystérieux Grand-Nez. N'y tenant plus, il s'en alla dans la forêt, arriva au pied du plus haut chêne, grimpa de branche en branche et reconnut que la princesse n'avait dit que la vérité, car le feu brillait dans la clairière, les enfants jouaient alentour et l'homme au long nez ne tarda pas à se présenter.
— Bonjour, papa Grand-Nez, criaient les enfants.
— Bonjour, mes enfants.
— Quelles nouvelles aujourd'hui, papa Grand-Nez ?
— Je sais quelque chose, mes enfants.
— Dites-le-nous, dites-le-nous !
— Je vais le dire, mais ne le répétez pas. Quand je vous parlais du roi qui ne pouvait pas jeter un pont sur la rivière ni remporter la victoire, un de ses officiers était monté sur un arbre près d'ici. Il entendait mes paroles. Il en a profité pour jeter un pont et battre l'ennemi au moyen de la poudre de l'Arbre Creux. Le roi, pour le récompenser, lui a promis sa fille en mariage. Mais il n'a pas su garder mes secrets, il a tout révélé à la princesse et il a été changé en pierre. La princesse, ayant répété ses paroles, a été traitée de même. Tout le royaume est en deuil... Et pourtant, au milieu de la forêt, il existe une source sur laquelle est posée une glace. Il n'y a qu'à soulever la glace, à prendre un peu d'eau de la source et à la verser sur les deux fiancés de pierre pour qu'ils reprennent leur vie habituelle.
— Cric crac ! Qui en parlera, pierre deviendra.
L'oncle de l'officier ne resta pas longtemps sur l'arbre. Il se hâta de se mettre à la recherche de la source, qu'il ne découvrit qu'au bout de plusieurs heures. Avant la fin de la journée, il entrait à l'église, muni de l'eau précieuse et pressé d'en faire l'expérience. À peine en eut-il versé quelques gouttes sur son neveu, que l'officier lui sauta au cou en le remerciant, ce que fit également la princesse un moment après.
La joie fut immense et on reprit les préparatifs de la noce. Le roi avait plusieurs fois interrogé l'oncle de l'officier sur le moyen qu'il avait employé avec tant de succès pour rendre la vie à sa fille ; mais l'autre se refusait à faire une révélation qui avait de si terribles conséquences. Cependant, questionné tous les jours, il sentait que le secret allait lui échapper.
— Si je retournais au grand chêne, pensait-il, j'entrerais peut-être en possession de quelque autre confidence que je pourrais utiliser à mon profit.
Le voilà donc, un jour, grimpant encore sur son arbre et se tournant du côté de la clairière. Juste à ce moment, les enfants réunis autour du feu saluaient la venue de l'homme au long nez :
— Bonjour, papa Grand-Nez.
— Bonjour, mes enfants.
— Qu'y a-t-il de nouveau ?
— Je sais bien quelque chose, mes enfants.
— Qu'est-ce donc, papa Grand-Nez ?
— Je vais vous le dire, mais n'en parlez pas.
Vous savez que l'officier et la fille du roi avaient été changés en pierre. Un oncle de l'officier, caché sur un arbre, a entendu ce que je vous ai dit à ce sujet et il en a profité pour aller prendre de l'eau à la source, si bien que son neveu et la princesse sont aujourd'hui en chair et en os comme auparavant. Mais l'oncle, pressé de dire comment il s'y est pris, ne peut plus garder le secret ; il va le laisser échapper et sera changé en pierre... Et pourtant, sur le bord de la rivière, je connais un oranger. Il n'aurait qu'à y cueillir une orange, à la manger, à faire ensuite un trou dans le tronc, à appliquer ses lèvres sur ce trou et à y murmurer tout bas ce qu'il m'a entendu dire. Ses paroles suivraient le tronc, descendraient par les racines et se perdraient dans la rivière. Il pourrait alors les répéter tout haut sans crainte d'être changé en pierre.
L'oncle écoutait de toutes ses oreilles : rien de plus simple que de courir vers la rivière. Il trouva l'oranger et suivit exactement les indications du Grand-Nez. Après quoi, il vint au palais et informa impunément le roi de ce qui s'était passé.
La noce se fit la semaine suivante. S'il fallait vous raconter toutes les réjouissances qui eurent lieu à cette occasion, il y en aurait aussi long que d'ici à demain. Ce que je peux vous dire, c'est que les mariés furent heureux et que la paix et l'abondance régnèrent longtemps dans le pays.