Conte de sagesse
addition soustraction division limites convergence récursivité
calculer raisonnement multiplicatif
Résumé : Baba Abdallah, un riche propriétaire de 64 chameaux, rencontre un derviche qui lui promet richesse en échange d’un partage équitable. Après une série de manipulations basées sur les puissances de deux, Baba Abdallah, emporté par son avidité, finit par tout perdre et devenir aveugle.
A Bagdad, Baba Abdallah était conducteur de chameaux. Il possédait 64 chameaux, cela faisait de lui un homme riche. Il louait ses chameaux à des marchands qui traversaient le désert, de Bagdad à Bassora. Ainsi il faisait du profit, grâce auquel il pouvait acheter d’autres chameaux, afin de faire encore plus de profits. Cependant, au lieu d’être heureux, Baba Abdallah se demandait toujours comment gagner davantage d’argent.
Un jour qu’il était sur le chemin, de Bagdad à Bassora, sa caravane à vide, il s’était arrêté près d’un puits pour faire boire ses chameaux et se reposer quand il vit arriver vers lui un Derviche tourneur, qui s’arrêta devant lui. Les deux hommes se saluèrent et comme c'était l’heure du repas, ils s’installèrent pour partager leur repas. Durant ce déjeuner, Baba Abdallah confia au derviche sa préoccupation principale : comment gagner plus d’argent.
Le Derviche lui dit :
─ A mon avis, tu travailles beaucoup pour bien peu de choses. Si tu veux m’en croire, je saurai te faire plus riche que tous les rois de la terre. Mais à condition, quand cela sera réalisé, que nous partagions comme deux frères tous les biens que je t’aurai fait gagner.
Baba Abdallah accepta. On fit lever les chameaux, et la caravane avança jusqu’à de hautes montagnes. On ne pouvait les traverser que par un passage étroit où les chameaux ne pouvaient passer qu’en file indienne. De l’autre côté, ils trouvèrent une grande plaine entourée de montagnes.
Le derviche prépara un feu, prononça au-dessus de la fumée des incantations, et la montagne s’ouvrit sur une vaste grotte remplie de pièces d’or, de pierres précieuses et d’autres richesses.
Baba Abdallah se munit de sacs et commença à les remplir de pièces d’or, pendant que le Derviche restait tranquillement debout à l’entrée de la grotte à l’observer. Au bout d’un moment, le derviche lui dit :
─ Mon garçon, tu te donnes encore beaucoup de mal pour bien peu de choses. Tu prends les pièces d’or, mais regarde plutôt ces pierres précieuses : chacune d’elles vaut autant qu’un sac d’or et pèse bien moins lourd.
Vexé, Baba Abdallah reposa les pièces d'or et chargea tous les chameaux de pierres précieuses.
Alors, le Derviche, sans un mot, alla au centre de la salle où se trouvait une colonne. Sur cette colonne était posée une petite boîte. Le derviche prit la boîte et la mit dans une poche contre sa poitrine. On fit lever les chameaux et on reprit le chemin jusqu’au puits.
On partagea les chameaux : 32 chameaux pour le Derviche, 32 chameaux pour Baba Abdallah.
Mais au moment de se séparer, Baba Abdallah protesta :
─ Ce sont mes chameaux qui portent la charge, sans moi, tu n'aurais rien pu prendre.
─ Mais tu as donné ta parole !
Ils finirent par partager en deux les chameaux du derviche. Baba Abdallah eut 48 chameaux, le Derviche, 16 chameaux.
Mais Baba Abdallah protesta à nouveau :
─ C’est moi qui ai fait tout le travail, tu n’a fait que regarder.
─ Sans moi, tu n'aurais jamais trouvé la caverne, car tu connais pas la formule qui permet d'entrer dans la grotte...
Le Derviche céda à nouveau la moitié de ses chameaux. Baba Abdallah eut 56 chameaux, le Derviche, 8 chameaux.
Ils commençaient à partir quand Baba Abdallah revint sur ses pas :
─ Tu es un homme de prière qui a fait vœu de renoncer aux biens du monde, que ferais-tu de tant argent ?
─ Je distribuerai ma part aux pauvres et aux nécessiteux.
Le Derviche finit par laisser à nouveau la moitié de ses chameaux restants. Baba Abdallah eut 60 chameaux, le Derviche, 4 chameaux.
Mais Baba Abdallah insista à nouveau et obtint la moitié des chameaux, puis la moitié des 2, et finit par réclamer aussi le dernier chameau du Derviche.
Satisfait, Baba Abdallah allait partir, mais il revint encore sur ses pas :
quand il se rappela la petite boîte mystérieuse que le derviche avait prise sur la colonne.
─ Dis-moi, la petite boîte mystérieuse que tu as prise sur la colonne, que contient-elle ?
─ De la pommade, répondit le Derviche.
─ Mais cette pommade doit être bien précieuse pour que tu la gardes ainsi, contre ton cœur !
─ C'est vrai, mais elle permet de voir ce qu'un regard ordinaire ne peut voir. Si tu en passes sur ton œil gauche, tu verras tous les trésors du monde. Mais si tu en passes sur ton œil droit, tu deviendras aveugle.
─ S’il te plaît, applique la pommade sur mon œil gauche.
Le derviche s’exécuta et Baba Abdallah vit tous les trésors de la terre. Mais avide de tout savoir, il exigea qu'on lui applique la pommade sur son œil droit. C'est ainsi que, malgré les avertissements du Derviche, Baba Abdallah devint complètement aveugle.
L’histoire nous rapporte aussi qu’une caravane qui passait par là recueillit Baba Abdallah et le conduisit jusqu’à Bagdad où, depuis, il reste assis en tailleur sur le pont qui sépare les deux rives du Tigre en demandant la charité aux passants.
Mais chaque fois que l’un d’eux glisse une pièce dans sa main, il lui demande de lui donner, en plus, une gifle, afin de ne pas oublier son histoire.