La Part du disciple

Conte facétieux

Âge : 7-9 | Proposé par : COA | Source 365 contes de gourmandises de Luda, coll. dirigée par Muriel Bloch, Gallimard Jeunesse / Giboulées

division limites convergence logique

raisonner

prise de décision

Résumé : Un fakir promet à son disciple la moitié des gâteaux qu'il rapportera. Par un raisonnement astucieux, le disciple finit par tout manger.


Un fakir avait un disciple qui mendiait pour lui, qui travaillait pour lui et qui n’avait pas un instant de repos. Son maître lui disait :
– Ce que tu fais est bien peu de choses en regard de ce que moi, je fais pour toi. Tu crois faire beaucoup, parce que le soir tu es fatigué. Mais si ton corps est las, ton esprit est libre de tout souci. Car je pense pour toi, je décide pour toi. Obéir est facile, décider et commander sont une lourde charge. Remercie-moi de te l’épargner.
Et le disciple remerciait son maître et continuait à tout faire pour lui, sans jamais une parole d’encouragement. Et sans même la pauvre récompense d’un vrai repas. Car le fakir ne lui donnait qu’une petite galette par jour.

– La sobriété est la mère des vertus, disait le fakir. Manger peu, jeûner élèvent l’esprit et purifient l’âme.
Et le disciple pensait : « Il est possible que manger peu élève l’esprit, mais ne pas manger du tout attache l’esprit à la seule pensée de la nourriture. J’ai tout le temps faim, et je ne pense qu’à ça, j’ai faim ! »

À la veille d’une fête, le fakir dit au disciple :
– Demain tous les habitants de la ville vont faire des gâteaux au miel et aux amandes. Tu iras faire le tour du quartier et demander l’aumône. Selon la coutume, on te donnera de ces gâteaux. Quand tu les apporteras à la maison, je t’en donnerai la moitié. Je ferai ainsi parce que c’est la fête et parce que mon cœur est bon. Alors va, et mendie bien pour avoir beaucoup de gâteaux !
Le disciple s’en alla mendier chez tous les commerçants du quartier et, en effet, partout, on lui donna de beaux gâteau. À la fin de la matinée, il en avait reçu seize et il prit le chemin de la maison de son maître.

Il avait faim, comme toujours. Et comme toujours, il pensait : « Que j’ai faim », quand une autre pensée lui vint. Il se dit : « Le maître a promis de me donner la moitié des gâteaux que je rapporte. Il l’a dit et il le fera, je ne dois pas en douter. Sur les seize gâteaux que j’apporte, il y en a donc huit qui sont à moi. Quelle différence cela fait-il si je les mange tout de suite et non plus tard ?... »
Et le disciple mangea huit gâteaux.

Ils étaient bons et n’ont fait qu’exciter davantage encore sa faim.
Et il se dit : « Le maître doit me donner la moitié des gâteaux que je rapporterai. Je rapporte huit gâteaux, il m’en donnera donc quatre. Quatre, que je peux manger sans plus attendre. »
Ce qu’il a fit.

Et il se dit : « La moitié de ce que je rapporte est ma part. Je peux donc manger la moitié de ces quatre gâteaux. »
Il mangea encore deux gâteaux.

En regardant les deux qui restaient, il se dit : « La moitié de ce que je rapporterai est à moi. Je peux manger ma part tout de suite. »
Il mangea encore un gâteau.

Il considéra celui qui restait. « La moitié de ce gâteau m’appartient, ainsi a dit le maître. Mais il serait discourtois de ma part de manger cette moitié qui est mienne. Je vais rapporter le gâteau entier et attendre avec humilité et obéissance que mon maître en fasse le partage. »

En voyant ce gâteau unique, le fakir s’exclama :
– C’est tout ce que tu as recueilli comme aumône ? Les habitants de notre ville auraient-ils oublié toute piété ?
Le disciple savait que l’on ne doit jamais mentir à son maître, il dit :
– Oh non ! Maître, les habitants se sont montrés généreux. J’ai reçu en tout seize gâteaux.
– Seize ? Mais alors où sont les quinze qui manquent ?
Et le disciple qui ne mentait jamais à son maître a dit :
– Je les ai mangés.
– Comment ça, mangés ? sexclama le fakir.
– Mon maître demande comment ? Comme ça !

Et d’une bouchée, le disciple avala le dernier gâteau.

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